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Monday, December 16, 2013

Novi Pazar and tolerance

 From the Balkans courrier

"Elle fait de nouveau l’objet de menaces de mort lancées par des groupes islamistes radicaux et des politiciens de sa région, le Sandžak, au sud de la Serbie."

Dans une lettre ouverte publiée le 10 décembre, journée internationale des droits de l’Homme, et que nous publions ici dans son intégralité, elle annonce à regret son retrait de la direction de l’ONG Urban In de Novi Pazar qu’elle dirigeait depuis de longues années. Par ce geste, elle espère ne plus mettre en danger la vie de ses collègues et amis. Les associations serbes de défense des droits civils ont fermement condamné les attaques contre Aida Ćorović.
 The rest of the article:

http://balkans.courriers.info/article23837.html


« Chers amis, respectueux collaborateurs, et vous tous avec qui j’ai pu travailler de longues années durant à l’établissement des valeurs démocratiques dans notre pays et dans la région, je tiens à vous remercier de m’avoir donné l’opportunité de participer à ce mouvement, mais aussi à vous informer qu’à partir d’aujourd’hui, je me retire officiellement du poste de directrice de l’ONG Urban In.
En cette année qui marque le quinzième anniversaire de cette petite mais influente ONG, je considère que me retirer est le minimum que je puisse faire pour éviter que l’organisation à laquelle j’ai consacré mes meilleures années ne souffre et ne devienne la cible de tous ceux qui souhaitent le recul de notre société, et de ceux qui ont peur de réagir, des indifférents ou des silencieux, sans le moindre souci pour notre région.

Depuis l’éclatement de notre patrie commune dans le sang, je considère que tout individu responsable a le devoir de ne pas passer sous silence les violations des droits de l’Homme, les crimes, la contamination nationaliste et religieuse, l’hébétement, l’intolérance, le primitivisme et tout ce qui nous sépare du reste du monde civilisé. Je pense que la parole publique est notre unique défense et que le devoir de tout citoyen est de parler, sans égard pour les conséquences, de ce qui ruine et déforme les normes éthiques, civiles et humaines qui représentent la base de chaque société. Je croyais et crois toujours que chaque intellectuel avait l’obligation de dénoncer la folie nationaliste qui nous obsède depuis plus de vingt-cinq ans, et surtout de montrer du doigt le nationalisme de son propre peuple, avant de s’attaquer au nationalisme des autres. Malheureusement, je suis restée presque seule avec mes convictions, mes efforts et la tâche que je me suis donnée de monter aux « barricades » de la vérité, de la justice, de la tolérance.

Ces derniers jours, seul le silence m’entoure. Ceux qui se disent être de mon côté se taisent et tournent la tête de peur de créer un remous dans la marée qui nous submerge depuis des années, soucieux de n’insulter personne ou de n’attirer ni l’amertume ni la colère de ceux qui décident de notre destin. Peut-être est-ce plus élégant, plus simple de maintenir de bons rapports avec tout le monde : on ne sait jamais qui peut nous être utile. Certains se trouvent à une distance considérable du Sandžak, mais se donnent le droit d’expliquer notre vie et de donner des conseils même s’ils ne connaissent le Sandžak que grâce à la lecture des rapports ou des textes rédigés par nous qui y vivons au quotidien. D’autres considèrent le Sandžak comme la cible de leurs projets, mais ils en ignorent tout, ou presque, et ne s’y intéressent finalement guère. Il y en a enfin qui vendent leurs convictions démocratiques aux intérêts des partis et des compromissions politiques, prêts à me clouer au pilori comme le font les radicaux ultras.

Cette expérience désagréable et pénible serait moins difficile à vivre si elle ne touchait que moi, comme unique responsable de mes paroles écrites ou prononcés. Or, elle a commencé à ruiner l’organisation où je travaillais jusqu’à ce jour. Certains diront peut-être qu’il est lâche d’abandonner mes amis et collaborateurs. Je répondrai qu’Urban In était pour moi plus qu’un lieu de travail et que ses membres étaient plus que mes collaborateurs. Urban-In et les gens qui y travaillent étaient ma vie, ma famille, ma source et mon port d’attache : ce que j’ai pu faire de mieux dans la vie.
C’est pourquoi j’ai le devoir de les protéger des attaques ultérieures, de rassurer les jeunes qui souhaitent devenir militants d’Urban In et leurs parents, de prouver qu’Urban In est prêt à évoluer sans moi. Cela ne veut pas dire que je tourne le dos à mes amis et collaborateurs – je resterai toujours à leurs côtés et les aiderai de toutes mes forces pour que cette belle histoire commune perdure, encore meilleure, plus forte et rajeunie.

Cela me donnera plus d’espace pour parler de tout ce qui fait mal à notre société, ce qui nous a poussés à l’isolement et conduits au seuil de la faillite. Je parlerai et j’écrirai plus fort encore, sans compromis, pour montrer que le Sandžak n’est pas un simple mot qui figure dans des projets à Novi Pazar, Belgrade, Bruxelles ou Washington, que les gens qui y habitent ne sont pas des marionnettes ou des numéros, que nous, les résidents qui vivons ici et partageons les difficultés et la beauté d’une société multiculturelle, sommes capables de reconnaître nos besoins véritables.

C’est pourquoi je dis, depuis ma petite cellule temporaire, que les prisons n’existent que dans les esprits des gens, que le silence est une lâcheté et une autocensure volontaire et qu’aucune menace, aucun chantage, aucune insulte ne me forcera pas à me taire ou ne me liera les mains.

J’espère que cette lettre servira de miroir à toutes les personnes bienveillantes, courageuses et sans compromis qui tentent de rendre la Serbie meilleure, mais surtout aux autres dont les intentions sont peu honnêtes ou égoïstes, aux ignorants qui considèrent mes concitoyens comme autant de chiffres et de statistiques dans leurs rapports, qu’il s’agisse d’acteurs étrangers ou nationaux. Dès aujourd’hui, je joue sans mon équipe, dans l’espoir de ne pas rester solitaire dans la volonté de transformer toute la Serbie en une équipe qui se bat pour la démocratie. »
Novi Pazar, Aida Ćorović, le 10 décembre 2013.

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